Il était une fois un chemin ; au bout de ce chemin, il y a une colline, en haut de cette colline, il y a une cabane et dans cette cabane, il y a une vieille.
Une vieille maigrelette, aigrelette, guillerette.
Si elle est guillerette c'est que sur la colline d'en face, il y a sa sœur. Une vieille encore plus vieille et tordue qui fête son anniversaire dans sa cabane perchée.
Alors la vieille fait son ménage et s'habille : elle met un bas, un autre bas ; et puis elle met dans son jupon, une jambe, une autre jambe, sur son jupon sa jupe ; et puis elle met dans son chemisier un bras, un autre bras, son chemisier jusqu'en bas ; et puis elle met dans ses chaussures un pied, un autre pied, bien noués les lacets ; puis des colliers, puis des bracelets, puis des manteaux, puis des chapeaux... elle s'est faite bien belle, la vieille !
Elle ferme la porte de sa maison, met la clé sous son paillasson et elle part en trottinant.
Trotti trotta,
la vieille au pas
trotti trotta
descend en bas
de la colline mais qu'est-ce qu'il y a là ?
Un grand loup l'attend sur le chemin :
« tu tombes bien la vieille, j'avais justement grand faim !
- ho le loup, moi, qui suis toute maigrelette, toute aigrelette, tu ne ferais qu'une bouchée de moi et tu aurais encore bien faim ! Mais je vais chez ma sœur d'en haut de la colline. Pendant trois jours, on va manger, danser, se régaler. Quand je reviendrai, je s'rais repue, dodue, ventrue. T'auras qu'à me manger à ce moment-là ! Alors là, oui, tu feras un fameux repas/festin !
- Ha oui da, ça c'est une bonne idée ! » et le loup se lèche déjà les babines et laisse passer la vieille.
La vieille arrive chez sa sœur. Et pendant trois jours, elles mangent, elles dansent, elles se régalent. Et le lendemain, elles recommencent. Sacré anniversaire qu'elles font là. Au bout des trois jours, la vieille doit repartir. Et elle dit à sa sœur :
« le loup m'attend en bas sur le chemin pour me manger maintenant que je suis bien repue, dodue, ventrue.
- Ne t'inquiètes pas, j'ai ce qu'il faut pour te cacher ! »
Et la plus vieille farfouille dans un tiroir et sort une noisette. La moins vieille essaie de rentrer dedans ; elle plie ses bras, ses jambes, sa tête, son jupon, sa jupe, son chemisier, ses chaussures, ses manteaux, ses chapeaux, ses colliers, ses bracelets. Mais rien à faire : ses pieds dépassent :
« j'ai bien mangé, j'ai bien bu et mes pieds ne tiennent plus. O ma sœur, si le loup me les mange, avec quoi irai-je chercher dans ton jardin les fraises que tu aimes tant ?
- tu as raison, ma sœur, je vais trouver autre chose. »
La plus vieille farfouille dans un placard et en sort une noix. La moins vieille essaie de rentrer dedans ; elle plie ses bras, ses jambes, sa tête, son jupon, sa jupe, son chemisier, ses chaussures, ses manteaux, ses chapeaux, ses colliers, ses bracelets. Mais rien à faire : ses mains dépassent :
« j'ai bien mangé, j'ai bien bu et mes mains ne tiennent plus. O ma sœur, si le loup me les mange, avec quoi irai-je pétrir la pâte à tarte bien croquante que tu aimes tant ?
- tu as raison, ma sœur, je vais trouver autre chose. »
La plus vieille farfouille dans son grenier et en sort un melon. La moins vieille essaie de rentrer dedans ; elle plie ses bras, ses jambes, sa tête, son jupon, sa jupe, son chemisier, ses chaussures, ses manteaux, ses chapeaux, ses colliers, ses bracelets. Mais rien à faire : son nez dépasse encore :
« j'ai bien mangé, j'ai bien bu et mon nez ne tient plus. O ma sœur, si le loup me le mange, avec quoi sentirai-je que la tarte aux fraises que tu aimes tant est prête ?
- tu as raison, ma sœur, je vais trouver autre chose. »
La plus vieille sort cette fois dans son jardin et revient avec une énorme pastèque. La moins vieille essaie de rentrer dedans et cette fois-ci, elle tient très bien dedans, avec ses pieds, ses mains, son nez, tous ses bijoux, tout.
Mais au moment de la laisser partir, sa sœur lui dit :
« Au fait, tu n'avais pas parlé de tarte aux fraises ? »
Alors la moins vieille ressort de la pastèque, va chercher des fraises sur ses pieds, pétri la pâte avec ses mains, cuit une énorme tarte aux fraises qu'elle sort du four juste au moment où elle sent délicieusement bon et les voilà toutes les deux qui mangent, qui boivent, qui se régalent encore toute une journée et une nuit.
Mais le lendemain, la vieille doit repartir. Elle essaie de rentrer dans la pastèque. Mais elle ne rentre plus dans la pastèque. Quelque soit la position dans laquelle elle se met, il y a toujours un bout qui dépasse. Alors la plus vieille retourne dans son jardin et cueille la plus grosse courge qu'elle trouve. Elle se glisse dedans et tout va bien.
Rouli roula
la vieille au pas
rouli roula
roule jusqu'en bas
de la colline mais qu'est-ce qu'il y a là ?
Le grand loup qui attend sur le chemin. Et alors là, une courge, c'est plus gros qu'une noisette, ça se voit bien sur un chemin et ça cogne même le loup. « Ouille », fait le loup qui est un peu énervé par son ventre qui gargouille (ça fait maintenant quatre jours qu'il attend ne l'oublions pas).
« Hé la courge, t'aurais pas vu une vieille repue, dodue, ventrue ?
- heu non, je n'ai vu qu'une noisette avec des pieds, une noix avec des mains et une pastèque avec un nez, mais je suppose que ce n'est pas ce qui t'intéresse ?
- ha non, ça je m'en moque complètement ! Allez, roule ton chemin courge à la langue bien pendue et qui sent la fraise ! »
Et le loup va donner un bon coup de pied pour se débarrasser de cette courge quand il aperçoit un petit bout de la jupe de la vieille qui se met à dépasser de la courge. Il se penche pour voir ça de plus près mais juste à ce moment-là, il y a une énorme pastèque qui déboule de tout en haut de la colline :
Rouli roula
roule jusqu'en bas
rouli roula
de la colline qu'est-ce qu'il y a là ?
Boum dans les fesses du loup qui va s'assommer sur le bord du chemin, tandis que la courge et la pastèque terminent leur course en remontant tranquillement la colline d'en face.
Quand elles sont arrivées à la maison, la moins vieille a pris la clé sous le paillasson, elle a ouvert la porte et la plus vieille a dit : « je suis sûre que les fraises sont meilleures chez toi ». Et elles sont entrées.
Quant au loup, il est parti clopin clopant et il n'a jamais osé raconter qu'il avait été assommé par une courge avec une jupe et une pastèque avec un nez ! Il a bien fait.
Rouli roula rouli roula
si je l'ai racontée
rouli roula rouli roula
c'est que l'histoire a poussé
rouli roula rouli roula
dans un pépin de noix
ma foi !